Socrate se fait prompter par Glaucon
Qui se souvient de ses cours de philo de terminale ? Moiiiiii. Et en particulier de l’étude de La République de Platon. Vous souvenez-vous de Glaucon and friends, aka “les disciples” qui donnent la réplique à Socrate ? A travers les nombreux échanges qu’ils ont avec Socrate et ainsi le dialogue qui en naît, ils font advenir une réflexion, un cheminement vers une vérité. Attention les philosophes, je tente un truc au risque de vous froisser : les questions de Glaucon pourraient être à Socrate ce que nos requêtes sont à chatGPT : des prompts.
Je l’ai toujours trouvé un peu bête et naïf Glaucon. A part acquiescer à tout ce que lui dit Socrate, il ne semble pas occuper le premier rôle dans cette histoire. Le rapport est déséquilibré: à Socrate le savoir et la parole prodigue, à Glaucon les questions d’apprenti, c’est normal, c’en est un. A chatGPT et consorts la production illimitée de connaissances, à nous les prompts. Même déséquilibré, le rapport est un rapport, et qui dit rapport, dit deux personnes. Il faut nécessairement être deux dans une relation dialectique : Socrate sans Glaucon, ou un LLM sans prompt, ça ne sert pas à grand-chose, sauf à s’auto-prompter, ce dont tous les jeunes mâles ont un jour rêvé. Supposons que votre dialogue avec la machine vous ait dans le passé ou vous aide à l’avenir dans une découverte, ou l’établissement d’une réflexion, une dialectique d’une nouvelle nature serait possible, car assistée par des Large Language Models avec une base de données bien plus pleine de parameters et de tokens que le cerveau, pourtant solide, de Socrate. Bien-sûr ça pose mille questions : un dialogue entre un humain et une machine peut-elle donner lieu à une dialectique à proprement parler ? Ben j’en sais rien. Excellent sujet de bac philo!
Le temps de parole est clairement déséquilibré dans la Rep’ : je dirais 90% Socrate, 10% Glaucon and friends. J’ai demandé à chatGPT s’il avait des stats de temps de parole dans la République, et visiblement personne n’a fait l’exercice, en tous cas pas dans le dataset d’OpenAI. La quantité d’output (Socrate) est ainsi largement supérieure à l’input (Glaucon and friends) et franchement c’est bien ce qui nous fait plaisir avec chatGTP : quelques mots dans un court prompt même pas articulé dans une phrase en bon français et hop, ça génère de la réponse à toute vitesse. C’est jouissif. Mais on peut être bien embêté car à quoi bon toute cette production de contenus, si notre capacité à l’ingérer est limitée ? Glaucon est solide, il tient des centaines de pages sans se fatiguer. Pas sûr qu’on puisse en dire autant des tchatgépéteurs que nous sommes, d’autant que Socrate et Glaucon ne sont pas sur leur iPhone, ils sont limités par les limites humaines de l’élocution et de l’audition. Je sais pas vous, mais moi, les réponses de chatGPT, je les parcours plus que je les lis, j’y pense puis j’oublie. Quid mais QUIIIID de l’intégration du savoir à cette vitesse ? Quid de la lenteur nécessaire à l’assimilation des concepts ? Produire du texte à la chaîne c’est bien, et il y a déjà pléthore de modèles qui le font, mais quid de la consommation desdites productions textuelles et visuelles ? Trop de production pour pas assez de consommation, serait-ce une crise de demande qui se profile ?
Supposons maintenant que Socrate (comme chatGPT) soit notre ami de dialectique. Si mes souvenirs sont bons (mais encore une fois, pardon les philosophes) un bénéfice de la dialectique menée à son terme, c’est la maïeutique ou l’art de faire “accoucher des idées”. Et si par nos dialogues avec les LLMs nous faisions accoucher des idées ? L’analogie Socrate vs chatGPT va bientôt s’arrêter j’en ai peur parce que chatGPT, se garde bien de faire un choix dans ses réponses, en d’autres termes de prendre un parti. Vous aurez noté les paragraphes lénifiants qu’il sort à chaque fin de réponse quand la question est, disons, ouverte. Si je lui demande, “la vie a-t-elle un sens?”, l’ami GPT me répond : “Finalement, la question du sens de la vie est hautement subjective et peut dépendre de l'individu, de ses croyances, de son expérience et de sa perspective philosophique. Il n'y a pas de réponse universelle ou définitive à cette question, et chacun est libre d'explorer et de définir son propre sens de l'existence” nianiania… Pour parler familièrement, il ne se mouille pas trop, parce qu’OpenAI ne veut froisser personne et ne surtout pas faire fuir les budgets marketing avant même qu’ils n’arrivent. Notons simplement que Socrate à la différence de chatGPT choisit une réponse parmi un ensemble de possibles. Avec chatGPT, j’ai toutes les perspectives possibles, dans quelques bullets points, en trois secondes, c’est magnifique mais c’est tout lisse, sans aspérité, sans parti-pris, sans choix. Avec Socrate, j’ai un POV (point of view pour ceux qui ne parlent pas le GAFAMulary). D’ailleurs, Gaspard Koenig note dans cette chronique que Platon, à la différence de chatGPT, cite ses sources (Socrate). Si je voulais vraiment une dialectique socratique à l’aide d’un LLM, il me faudrait un chatGPT socratique, doté d’une capacité de choix, plutôt qu’un perroquet américain, entraîné sur un corpus anglophone, inclusif, à tout prix. Il me faudrait un LLM avec de la personnalité (théorie de l’esprit anyone ?).
Je pensais que j’étais le Glaucon de chatGPT mais à la réflexion, ça ne marche pas : malgré la réalité d’un dialogue mais l’illusion d’une dialectique (?), ma capacité d’assimilation des connaissances est largement inférieure à celle de la (re)production de connaissances de chatGPT et consorts et pour faire un pas vers la vérité, je dois prendre un chemin, je dois m’engager résolument dans une direction donnée, ce que ne fait pas un LLM parce qu’il laisse ouverts tous les chemins, sans en choisir un seul, a fortiori quand le degré d’ambiguité de la conversation est élevé. La dialectique à la sauce Gen AI, c’est pas pour demain mais bonne nouvelle, on a un bon petit stock de sujets de bac de philo à suggérer à l'Educ Nat.
Très belle semaine à tous !
— l’équipe millefeuille.ai
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