Au cœur de l'IA
3 minutes de lecture

Fais chauffer l'algo

Publié le
11/14/2024

J’apprends le piano depuis quelques années. C’est laborieux mais c’est aussi une grande source de satisfaction et de plaisir. J’ai besoin d’un professeur, tellement la tâche est immense pour me guider dans l’apprentissage de la technique, des gammes, des arpèges et des ornementations - to name a few. Je mène un combat particulier : la lutte contre l’impatience. Exposé aux interprétations des plus grands pianistes dans un foyer amateur de l’instrument, je ne me résout pas à franchir les paliers les uns après les autres et je me précipite vers des œuvres inaccessibles pour mon modeste niveau. La vertu de ce vice ? Être toujours tiré vers le très haut. Le vice de cette vertu ? Se casser les dents plusieurs fois par semaine, et être miné par le découragement, l’épuisement et les blocages de trapèze. La stratégie des petits pas s’impose donc, sagesse durement acquise, constamment remise en cause mais la seule qui vaille sur le long cours. Si on transpose cette problématique au domaine de l’IA, on pourrait dire que je partage avec les ordinateurs l’enjeu du “cold start” ou du “démarrage à froid” : une demande forte des clients (maîtriser Bach “en deux deux”) et une impossibilité formelle de la réaliser (même Mozart a dû attendre quelques années avant d’écrire ses premières sonates).

Une définition du cold start s’impose : “Ce terme est utilisé pour décrire une problématique des systèmes de recommandation, où le système manque de données initiales suffisantes pour faire des prédictions ou des recommandations précises.” Dans le cadre du marketing digital, où le machine learning a été tôt et intensément utilisé, le terme est souvent utilisé pour désigner le lancement d’une campagne pour laquelle les systèmes n’ont peu ou pas d’historique (rappelons que l’IA répète plus le passé qu’elle ne prédit l’avenir). Mettons que vous êtes un annonceur d’une application nouvellement créée, les plateformes de marketing digitales sur lesquelles vous souhaitez en faire la promotion ne savent rien ou presque rien de la nature de votre application, de ses utilisateurs potentiels, de leurs centres d’intérêts et donc de leur propension à la télécharger. Nos amis anglophones ont cette expression assez jolie : “it's like shooting in the dark” (attention aux dégâts).

Presque rien parce qu’une astuce permet d’acquérir une forme de connaissance de l’application, encore inconnue, via ses métadonnées. Si l’objet est d’une certaine industrie, dans une certaine langue ou d’un certain éditeur, les plateformes peuvent en acquérir une connaissance a priori en s’inspirant d’objets similaires (une application du groupe Accor aura a priori la dimension sectorielle du voyage). Simplification extrême. Quand je me lance dans le déchiffrage de l’Aria des Variations Goldberg, je l’ai déjà entendu des centaines de fois, dans pléthores d’interprétations, et je suis un petit peu familier de l'œuvre de Bach. Je ne suis pas totalement nu. Le “démarrage à froid” est ainsi et plutôt un “démarrage à tiède”.

Toujours est-il que la tâche est immense : déchiffrer la main droite, puis la main gauche, synchroniser les deux, revenir en arrière (impatience quand tu nous tiens !), analyser l’harmonie (lol), prendre un parti d’interprétation (joie, mélancolie, intériorité ?), laisser reposer, reprendre, désespérer, et connaître de rares instants de maîtrise. Cette phase d’apprentissage pourrait se résumer en un simpliste trial and error. Je teste une approche, j’apprends sur son efficacité ou son inutilité, et je recommence, ad vitam ou presque. Les algorithmes d’intelligence artificielle ne font rien d’autre que de se tromper à très grande échelle, comme mes doigts sur le clavier, pour apprendre de leurs quelques victoires. La friction induite par ce mouvement de trial and errors, comme deux morceaux de bois qu’on frotterait l’un sur l’autre, fait “chauffer” l’algo. L’algo est en état de flow, il est calibré. Et un algo chaud, c’est un algo qui carbure.

Une question m’animait (tout seul) à l’époque où j’observais ces enjeux : qui paie pour l’apprentissage qui fait passer un algorithme de froid à tiède et de tiède à chaud? Il ne viendrait à l’esprit de personne de demander la gratuité des cours de piano tant que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Pourtant, certains nous faisaient remarquer qu’ils payaient pour un apprentissage qui contenait un nombre important d’erreurs en tous cas pendant la période qui s’étend entre le “cold start” et le moment où le moteur est déjà bien chaud (campagnes stabilisées, performance au rendez-vous etc…). Et ils n’avaient pas foncièrement tort, à quoi bon payer pour des erreurs ? Sauf que, et c’est essentiel, seules les erreurs permettent l’avènement des succès. Belle morale, à la Silicon Valley. Pardon Samuel Beckett mais tes mots ont toute leur place ici : “Ever Tried. Ever Failed. No Matter. Try again. Fail again. Fail better.

Dans ce débat qui n’intéressait que moi, je n’ai pas trouvé l’issue mais l’intuition que ce qui compte dans la vie, ce sont les expériences plutôt que les résultats, le participe présent plutôt que le futur désiré. Quand j’ai testé l’idée de la gratuité des cours avec ma professeur de piano jusqu’à devenir le nouveau Glenn Gould et je l’ai sentie plutôt tiède. “Christian” - m’a-t-elle rétorqué -  “vous payez pour le voyage, pas pour la destination.”

P.S sur les LLMs : Les modèles de langage nous sont rendus accessibles post training. Aucun d’entre nous ne doit attendre que chatGPT apprenne quoi que ce soit pour obtenir un résultat, même si des apprentissages marginaux sont effectués via nos interactions avec ces mêmes résultats (et le fine tuning ?). Le temps de l’apprentissage, même s’il est masqué aux utilisateurs - il précède l’utilisation finale -, n’en demeure pas moins réel. En payant un abonnement à une de ces interfaces, les utilisateurs achètent d’une certaine manière leurs erreurs passées. Un dollar rédempteur ? Why not, après tout.

Très belle semaine à tous !

— l’équipe millefeuille.ai

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